Inutile de préciser que j'ai très peu ou quasiment pas de souvenirs de ma vie jusqu'à mes trois ans. Je sais que je suis né à Jerrytown il y a un peu plus de dix-sept ans. Je suis fils unique malgré moi, parce que j'ai voulu avoir un frère. Et mes parents venaient de se séparer quand je suis né, ce qui fait que je ne connais pas mon père et que ma mère m'a élevé toute seule. Ma mère, c'est mon héros. Oui oui, je suis un fils à maman, mais je le vis bien. S'il devait lui arriver quelque chose, je sais pas si je m'en remettrais. J'en veux à mon père, oui. Je lui en veux de l'avoir abandonné, d'être parti. D'avoir été un sale lâche, en fait. J'éprouve limite de la haine envers lui. Mais bon, ce qui est fait est fait, et aujourd'hui tout ce qui m'importe, c'est de rendre ma mère fière de son fils. Mais commençons par le commencement : la petite enfance, ou la période durant laquelle tu quittes le berceau pour t'aventurer en terre inconnue. Je parle bien entendu de la maternelle. Tu flippes, mais tu flippes. Tu te demandes où tes parents ont-ils l'intention de t'amener, est-ce qu'ils veulent t'abandonner dans une forêt, te vendre au marché noir, te jeter dans une poubelle ? Bon, à l'époque -argh, je parle comme un vieux-, je me posais pas toutes ces questions, mais d'après ce que m'a dit ma mère, le jour de la rentrée j'ai chialé pendant des heures et je refusais qu'elle me laisse tout seul. Mais bon, le moment fatidique est arrivé, et il a fallu couper le cordon. Et c'est là que tu découvres les joies de la cohabitation -forcée- avec de petits êtres tous baveux et excités d'un mètre moins vingt, mais qui s'avèrent être tes semblables. Bien sûr, à trois ou quatre ans, tout ce qui t'importe dans la vie est de pouvoir faire la sieste après manger et avaler tout ce qui se trouve à portée de mains, colle ou papier mâché. Mais quand même, la maternelle reste un bon souvenir pour moi. Déjà, à cette période j'ai l'impression qu'on bénéficiait d'une plus grande liberté d'expression. Et vas-y que j'écris sur le mur, et vas-y que je mange avec les doigts et sans assiette, à même la table. Enfin, ça je le fais encore. Bref, quand j'y pense, je me dis qu'on pouvait faire tout ce qu'on voulait, ou presque. En tout cas, moi, j'avais un réel besoin de m'exprimer. Rien de tel que les bêtises pour se faire remarquer, n'est-ce pas ? J'étais d'ailleurs celui qui se faisait le plus punir dans la classe. « Au coin Jimmy ! » répétait sans cesse ma maîtresse, Mlle Applebees. Je passais plus de temps au coin qu'avec mes camarades, c'est dire ! Mais avec l'arrivée d'une nouvelle camarade de classe l'année suivante, j'ai commencé à me calmer et à être un peu moins indiscipliné. C'était le 4 septembre 1998, et j'entrais en moyenne section de maternelle. J'étais content de retrouver ma petite bande de copains, mais je me souviens bien de les avoir tous laissé tomber quand ELLE est arrivée. Hailee McDermott. Je suis tombé raide dingue à la minute même où elle m'a adressé un sourire. Et quel sourire ! « Salut ! Je m'appelle Jimmy, et toi ? T'es nouvelle à Jerrytown ? » « Je m'appelle Hailee. Ma famille vient d'emménager. Avant, on habitait en Floride. » « Ca a l'air trop cool là-bas ! » « Je te ferai visiter, si tu veux. » Et c'est comme ça que notre histoire débuta. C'est mignon, l'amour quand on est petit. On se rend pas compte en fait à quel point on est dévoué à cette personne, à quel point on serait capable de se plier en quatre pour elle. Et bien sûr, on se rend pas compte de son comportement. Moi en tout cas je m'en rendais pas compte. Ce qui m'importait, c'est qu'elle s'assoie à côté de moi en classe, qu'on passe nos récréations ensemble, qu'on se partage nos crayons de couleurs et qu'on soit ensemble pour toute la vie. Pour moi, c'était ça l'amour. « Tiens, Hailee, je t'ai fabriqué un collier de pâtes. Je l'ai fait tout seul. Enfin, ma maman m'a aidé, mais juste un petit peu. » St-Valentin oblige, ma mère m'avait convaincu qu'offrir un cadeau à l'élue de mon cœur serait une preuve de mon amour et de ma sincérité. Bon, à mon âge j'avais juste compris que ça serait bien de lui offrir quelque chose. « Oh mon Jimmy ! Il est trop beau. Merci ! » Et elle s'était approché de moi pour m'enlacer et poser ses petites lèvres roses sur ma joue. Je crois bien qu'à cet instant précis, je devais être aussi rouge que le rouge à lèvres de la maîtresse. Mais voilà, quatre mois plus tard, ma mère m'annonçait que la famille McDermott partait pour Seattle, M. McDermott ayant trouvé un poste plus convenable là-bas. Ce qui voulait dire que je n'allais plus jamais revoir Hailee. Ma Hailee à moi, avec son sourire si craquant, ses cheveux châtains attachés en nattes, et cette façon qu'elle avait de me rendre heureux par sa simple présence. Je n'aurais plus droit à ça. C'était injuste. Au fond de moi, j'espérais qu'elle revienne, mais bon, il y avait peu de chances que ça arrive. « Aurevoir mon Jimmy. Je t'oublierai jamais, promis. » Bien sûr, les promesses d'un enfant de cinq ans sont à prendre à la légère, et avec les années elle était probablement passée à autre chose. Mais je ne l'avais eu à mes côtés que pendant un an et elle avait été mon premier amour. Et le Jimmy insolent, qui faisait le zouave en classe avait changé et s'était avéré être très studieux cette année-là. J'étais carrément devenu le chouchou de la maîtresse et j'accumulais les bonnes notes. Hailee avait décidément eu une très bonne influence sur moi. Pour courronner le tout, le principal de l'école convoqua ma mère et moi pour nous suggérer de me faire sauter une classe au vu de mes excellents résultats et de mon niveau avancé, soit me faire passer direction au cours préparatoire. J'allais atterrir chez les grands, youpi !

Rentrée de cp, j'ai la trouille parce que je ne connais personne et j'ai l'impression d'être le plus petit. « Maman, j'veux plus y aller, en fait. » Je m'accrochais à ma mère comme à une bouée de sauvetage, mais évidemment, elle avait plus de force que moi, et c'est sans efforts qu'elle m'entraîna devant la porte de ce qui devait être ma nouvelle classe. Elle se pencha ensuite vers moi et m'adressa un sourire. « Tout va bien se passer, mon poussin. » Petit soupir intérieur de ma part. Elle faisait seulement son job de maman là, je le savais. Mais j'avais quand même bien envie de la croire. « Croix de bois, croix de fer ? », lui répondis-je en faisant le signe de la main. « Croix de bois, croix de fer, mon chéri. » Et elle m'embrassa avant de partir pour le travail. Effectivement, ma mère ne s'était pas trompé. Tout s'était bien passé et je faisais carrément partie d'une bande. JE FAISAIS PARTIE D'UNE BANDE. Ils étaient tous dans la même classe que moi et certains se connaissaient depuis longtemps, comme Olly et Dorryan, surnommé Dodo. Il y avait aussi le cousin d'Olly, Maxxie, qui avait été un des premiers à me parler. La famille Kitchen était d'ailleurs l'une des familles fondatrices de Jerrytown et pour une raison qui m'échappe, la famille d'Olly et celle de mon père -que je ne connais même pas- se détestent. Des conflits qui durent depuis longtemps selon ma mère. Et enfin, la mascotte du groupe, la petite -enfin, du même âge que moi- Ghania qu'on appelait tous Gaga et qui était encore en maternelle. Bref, j'avais trouvé des amis en or et ils avaient réussi à me faire oublier mon chagrin d'amour. Puis vint l'arrivée d'un nouveau « membre », Sid. Aussitôt adopté par le reste du groupe, et tout particulièrement par Gaga & Dodo, il avait surtout provoqué en moi une certaine jalousie. Ouais, je voulais pas de lui dans le groupe parce qu'on était bien à cinq et je voulais pas que ce petit mouton vienne tout gâcher. En plus je le trouvais bizarre. Les autres voyaient bien que je pouvais pas le supporter, mais il faisait partie des nôtres à présent et je devais m'y faire. On était en primaire, et il était mieux de traîner en bande qu'en solitaire. Donc je m'y suis fait petit à petit et j'ai même fini par l'apprécier. Sans être les meilleurs amis du monde, on s'est finalement bien entendu et tout est rentré dans l'ordre.

Après la primaire vint le collège et on était tous contents de se retrouver. Même Gaga s'était retrouvée avec nous, puisqu'elle avait également sauté une classe ! Bref, la team était de nouveau réunie, en mode futurs boutonneux et j'étais juste trop content d'être encore avec mes frères. Franchement, des fois je me demande comment ils faisaient -et comment ils font toujours- pour me supporter, avec mes sautes d'humeurs et mes caprices. Mais nous on supporte bien la coupe de Sid, donc. Bref, je m'égare. Don oui, je disais que notre rentrée au collège s'était bien passée dans l'ensemble, mais on était dans des classes différentes. Je m'étais retrouvée avec la tornade rouge et de ce fait, m'étais beaucoup rapproché d'elle cette année-là. Gaga était devenue une de mes meilleures amies, et en plus on avait le même âge et on rigolait bien ensemble. Deux ans plus tard, une nouvelle intégra la bande : la belle Jewel. Cela faisait donc deux filles dans notre groupe et forcément des couples allaient se créer, à commencer par Maxxie et Jewel, sans compter Sid et Dorryan. J'avais toujours su que mon Dodo kiffait les mecs, mais personnellement j'avais cru qu'il allait se passait quelque chose entre Gaga & Sid, avant d'abandonner cette idée et de voir que ces deux-là -Sid et Dodo donc- étaient faits pour être ensemble. Nous avions à présent seize/dix-sept ans, et les soirées commençaient à se faire plus fréquemment. L'occasion pour moi de montrer ce que je valais aux gens du lycée, puisqu'elles avaient souvent lieues chez moi. Et je peux dire qu'au niveau des conquêtes, j'avais le choix. Je ne compte plus mes aventures et autres flirts. Contrairement à mes potes casés, je ne ressentais pas ce besoin d'être en couple. Je préférais au contraire profiter de ma liberté, et ils me chambraient souvent à cause de ça. Mais qu'importe, il fallait profiter de ces dernières années avant l'entrée à l'université. Aujourd'hui, j'ai dix-sept ans et je profite toujours. Je sais même pas c'que je veux faire de ma vie, à vrai dire pour l'instant j'en ai rien à faire. Je suis peut-être le moins enthousiaste de tous à l'idée de quitter le lycée pour « la vie d'adulte ». Même si le lycée, ça craint du boudin. Mais la seule chose qui m'importe en ce moment, c'est cette bande de moules handicapées que j'aime et que je ne quitterais pour rien au monde. Et picétou.