Chère soeur,

L'honneur de te rencontrer, je ne l'ai jamais eu. J'aurais aimé pouvoir mettre un nom et un visage sur la personne que tu es, mais la seule chose que je connais à ton sujet, c'est que le sang qui coule dans tes veines et en partie le même que le mien. Je ne sais pas si tu connais mon existence, ni même si tu sais d'où tu viens, peut être que la famille dans laquelle tu as vécu ne t'a jamais parlé de tes origines... Si je t'écris cette lettre, ce n'est pas pour venir te cracher la vérité en face et faire voler en éclat le monde que tu connais depuis toujours, je n'ai jamais eu réellement l'intention de te l'envoyer, ni même une autre, faute de connaître ton adresse ni d'avoir le moindre indice sur toi. Si j'écris cette lettre, c'est avant tout pour moi. J'ai besoin de faire le tri, de mettre ma vie à plat afin de pouvoir tout recommencer à zéro dans une nouvelle ville.

Ma mère était colombienne, mon père américain. Avant de se rencontrer, on ne peut pas dire qu'ils aient réellement des choses en commun. Ma mère, qui est aussi la tienne, rêvait des Etats-Unis et de liberté, tellement fort qu'elle aurait été prête à tout pour franchir les frontières et rejoindre le pays de tous les droits. Elle n'a jamais pu, pas de cette manière. Elle était pauvre, tu sais. Elle raconte encore sa vie d'avant, sa vie là-bas, dans un petit village que rien ne reliait au monde moderne. Par amour, ou par folie, elle décida de suivre son amant et de rejoindre Bogota et ses bidonvilles. Sans argent, elle finit vite par ne plus savoir que faire et l'affront fait à ses parents en fuyant l'empêchée de revenir en arrière. Son amant s'envola bien vite et elle se retrouva seule. Comme beaucoup d'autres filles, la prostitution aurait pu lui permettre de récolter quelques minces revenus et c'est ainsi qu'elle aurait fini si jamais elle n'avait pas rencontré tes parents, tes parents adoptifs. Des américains qui ne pouvaient pas avoir d'enfants, venus ici à la recherche d'une mère porteuse. Elle ne put refuser la somme astronomique qu'ils lui proposaient en échange et c'est ainsi que tu es née. C'est grâce à cela qu'elle obtint un travail et un foyer et elle épousa un homme, un américain aussi, venu en Colombie dans le but d'y faire fortune. Deux ans après toi, elle eut une deuxième fille : moi. Ils étaient de bons parents tous les deux tu sais? Et s'ils l'avaient pu, ils t'auraient élevée comme personne d'autre n'aurait pu le faire. Très tôt on m'avait parlé de toi et je voyais dans les yeux de ma... de notre mère qu'elle regrettait de ne pas t'avoir gardée. Quand j'eus 10 ans, nous avons pu à notre tour partir en Amérique. Nous vivions en Louisiane, était-ce loin de chez toi? Nous ne pouvions en être certains, nous ne savions même pas si tu étais réellement aux Etats-Unis. Nous ne t'avons pas cherché, nous étions heureux tous les trois, mais ma mère ne pouvait s'empêcher de songer à quelle fille tu aurais été...

Tout cela est fini pour moi maintenant. J'ai parlé de reprendre tout à zéro et voilà ce que je m'apprête à faire. J'ai seulement 18 ans et des centaines, des milliards de choses à apprendre sur le monde, mais je m'en fiche, tout ce que je veux c'est être libre de mes mouvements, faire ce que je souhaite. Je n'ai pas pris cette décision toute seule. Il y a lui évidemment. Lui qui m'a vilement tenté pour cette ville de folie. Jerrytown, tu parles d'un nom toi? Lui, c'est mon meilleur ami depuis que je suis arrivée aux Etats-Unis. On s'est déjà embrassé, mais ça reste amical. L'amour? Connais pas et je suis très heureuse comme cela. Certains pensent que le sexe est ma seule motivation, mais je suis comme Dom Juan. J'aime séduire et ensuite, je ne vois plus l'intérêt. Je perds toute envie quand l'amour est consumé. C'est ainsi et c'est dommage pour eux, mais je suis jamais contre une glace à la pastèque. Si jamais cela t'intéresse, tu ne seras pas ou me trouver et tu ne seras même pas que je t'ai invité, je ne prends pas de risques.

Tchao,
Ta soeur.